Centre de recherche Institut Montpensier

CERIPP
Centre d'Etude et de Recherche Internationale sur les Politiques Publiques

Droits Humains et développement des territoires, vers un nouveau modèle de gouvernance

Editions L’Harmattan, 2013, 399 pages

Ce livre intervient à un moment particulier où le débat sur droits humains ne cesse de prendre de l’importance, mais la question centrale reste de savoir quel niveau peut-on donner du sens et de la matérialité à ces droits. Ce livre cherche à dégager une nouvelle piste de travail où le territoire apparaît comme le niveau privilégié  et approprié pour l’application et l’affirmation des droits humain.

Les mutations sociales, politiques, économiques, culturelles et géopolitiques que l’humanité ait connues ces dernières années ont modifié substantiellement le débat sur la question du développement et les référents idéologiques sur lesquelles elle reposait. On pouvait penser aujourd’hui que le développement n’a pas de fondement idéologique; d’une manière ou d’une autre, sa finalité est de rendre le citoyen heureux. Heureux en quoi ? Dans sa manière de vivre, d’exister et d’être c’est-à-dire que le développement doit satisfaire la plénitude des droits humains, dans leur globalité et leur complémentarité. Assurément les droits humains constituent aujourd’hui le référent de base de toute politique de développement. Le concept de développement humain synthétise cette conception. Mais la question centrale est de savoir quelle est l’échelle appropriée pour donner du sens et de la matérialité aux droits humains. Tout le monde est convaincu aujourd’hui que les politiques de développement ne peuvent avoir de résultats et d’impact que si elles sont élaborées, négociées et exécutées dans une échelle territoriale.

Ce livre, qui vient d’enrichir la collection du GRET, fruit d’une féconde pluralité de pensées, met en évidence cette corrélation étroite qui existe entre les droits humains et le développement des territoires tout en mettant en évidence les missions nouvelles qui incombent au territoire parallèlement aux remises en causes que connaît l’Etat lui-même. Celui-ci a toujours été le résultat d’un couple dans lequel il concilie pouvoir et territoire; il se trouve confronté aujourd’hui à des enjeux de développement et de démocratie qui ne peuvent être expérimentés et atteints que dans un territoire, considéré comme un lieu où tout le potentiel d’avenir (démocratie, Droits de l’Homme, cohésion, intégration…) peut être entrepris à ce niveau. Le territoire est plus que jamais une échelle de vie et d’espérance partagée. 

Aussi, l’exigence démocratique, résultant d’un processus générateur d’indignation, de colère et de révolutions (manifestations en Europe, « printemps arabe », révoltes en Afrique), ne se réduit pas à un postulat de représentation politique. Démocratie comme citoyenneté ne se suffisent plus du seul geste électoral. Il faut maintenant intégrer l’action publique locale au cœur des objectifs plus globaux de droits humains (droits économiques, sociaux, culturels et politiques). C’est un nouvel âge démocratique qui s’annonce à l’horizon avec une demande accrue concernant le respect et la concrétisation effective des droits humains. Chacun sait que le sens traditionnel reconnu à la démocratie est partout contesté ; celle-ci se définit et se mesure par sa capacité à produire des projets et à fabriquer du commun, à créer de la solidarité et de l’équité. Il faut en finir avec la facilité ou le discours ambiant réduisant la démocratie locale à un processus électoral légitimant une centralité politique devenue contre-productive.

Le territoire fait figure aujourd’hui de laboratoire d’expérimentation et de recréation de nouveaux liens en vue d’une confiance durable et d’une appartenance sociale réelle. De ce point de vue, le territoire est un référent collectif à travers lequel tous les habitants peuvent s’associer pour créer un environnement humain et solidaire, fondé sur le respect des droits et des libertés des individus et des organisations.

Dans cette perspective, le territoire est devenu une valeur où doivent s’exercer les trois fonctions essentielles de la démocratie participative et interactive : la délibération avec et au profit de tous les habitants, l’élaboration et la co-production de politiques publiques, l’apprentissage des droits et des obligations. In fine le territoire est aujourd’hui le lieu de toutes les « métamorphoses » et de toutes les expériences. La véritable démocratie ne va pouvoir s’épanouir que dans des territoires vécus, négociés, cogérés, appropriés dans des démarches d’élaboration collective qui produiront des changements durables.

Nous sommes donc appelés à dépasser nos modèles actuels et surmonter une crise systémique dont on sait qu’elle conduit droit au mur. Le temps de la décentralisation, héritière d’une conception classique inhérente à l’Etat nation, est dépassé. L’urgence est d’amorcer un processus de renouvellement démocratique par la mise en œuvre d’une nouvelle forme de gouvernance où les droits et les libertés seront protégés et assurés. Une nation ne peut réaliser  la cohésion sociale si les territoires demeurent domestiqués, subordonnés et éloignés de l’exercice de la souveraineté. En libérant le territoire des séquelles d’une centralisation centripète du pouvoir, on ouvrira une grande chance à l’avenir de l’humanité. D’où la conviction que c’est par le retour aux territoires à travers une territorialisation des politiques publiques hardie et réelle que nous réussirons la reconversion de nos sociétés.

Partant de ce constat, les politiques territoriales, qu’il s’agisse de la territorialisation des politiques publiques ou de la mise en œuvre de la politique visant expressément le champ d’intervention des pouvoirs territoriaux, bénéficient de plus en plus d’un éclairage nouveau et d’une analyse renouvelée eu égard aux mutations contemporaines qui le traversent et de l’intérêt qu’il prend de plus en plus dans la gestion du pouvoir et la-coproduction de politiques de développement. Si l’on peut penser que les mérites analytiques de ces mutations  y sont de plus en plus sensibles et intéressantes, cet ouvrage collectif ne cache pas son intention. Il rouvre le débat sur ce qui constitue aujourd’hui les préoccupations majeures de nos sociétés contemporaines.

L’objectif de cet ouvrage est triple. Il procède tout d’abord par dénoncer la centralité politique du pouvoir par les professionnels de la politique aussi bien que le désintéressement des citoyens face à ce phénomène. Il cherche ensuite à explorer de nouveaux chemins et de nouvelles pistes de travail pour revivifier la démocratie locale et mettre en place les fondements assurés et durables d’une bonne gouvernance territoriale. Il appuie enfin l’hypothèse selon laquelle l’avenir du développement réside dans le territoire et qu’il ne peut être réalisé sans le respect des droits humains.

Fruit d’un travail collectif émanant d’auteurs et de chercheurs dont certains nous ont accompagnés durant tout notre cheminent scientifique et d’autres nouveaux, venus des horizons différents et des écoles de pensée pluridisciplinaire, ce livre met en évidence de façon très claire et convaincante les relations intrinsèques qu’il y a entre les droits humains et le territoire. Celui-ci apparaît à l’épreuve des faits et des mouvements politiques en cours comme une alternative pour gérer la société autrement, mais humainement.

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