Etat, gouvernementalité et changement
Le Symposium commémoratif du 66ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Mercredi 10 Décembre 2015 à 9h00
« Droits de l’Homme et droit au développement : Pour un mieux-vivre ensemble »
J’ai le plaisir de vous informer que le GRET organisera son 20eme colloque international le 23 et 24 avril 2015 à Rabat en collaboration avec nos partenaires traditionnels la Faculté de Droit de Rabat et la Fondation Hans Seidel et d’autres partenaires qui se joindront à nous, sous le thème :
Etat, gouvernementalité et changement.
Ce colloque sera pour nous un moment très important puisqu’il couronne vingt ans d’une intense activité scientifique marquée par des réflexions pertinentes et des productions scientifiques qui font autorité. Nous voulons faire de ce rendez-vous exceptionnel une synthèse féconde de toutes les problématiques que nous avons analysées jusqu’à présent.
Pourquoi le choix d’une telle thématique ? Après avoir mené des réflexions approfondies et transversales sur les questions de gouvernance et les théories politiques qui la sous-tendent, il nous a paru essentiel de transcender l’effort de théorisation et d’interpellations critiques pour aborder cette fois-ci les pratiques du pouvoir elles-mêmes et leurs effets sur le fonctionnement et le développement de nos sociétés. Car il va sans dire que le problème qui se pose 2 aujourd’hui, est non pas de se contenter de mieux gouverner, et on parlera alors de gouvernance, mais d’interroger l’art de gouverner, et on désignera cela par gouvernementalité selon l’expression célèbre de Michel Foucault.
Que signifie le terme « gouvernementalité » ? Chacun sait en effet que tout Etat gouverne, c’est sa fonction essentielle, mais il ne doit pas le faire n’importe comment ; il y a des arts de gouverner qui promeuvent le bien-être collectif et d’autres qui font le contraire ou sèment la confusion, mais ils sont tous à interroger et à évaluer.
Le thème Etat, gouvernementalité, changement présente certes un triptyque qui renvoie à la question essentielle des nouveaux rôles que doit jouer l’Etat dans la conduite du changement. Celui-ci n’est ni une affaire de discours, de programmes ou de quelques prévisions que ce soit, il est tributaire de pratiques et de modalités d’exécution. L’Etat a pour vocation de gouverner, de changer, de transformer dans un contexte qui ne cesse de se complexifier et de se compliquer. Le changement relève d’une capacité d’adaptation et d’amélioration constante de pratiques en œuvre. Gouverner, c’est savoir s’adapter, innover, transcender, oser ; c’est surtout savoir trouver des solutions aux problèmes qui se posent. Le constat aujourd’hui est que l’art de gouverner devient un exercice difficile et parfois incertain en raison des risques et des crises qui affectent les équilibres économiques et sociaux (déficit budgétaire, dette, pouvoir d’achat, inflation, sécurité, chômage etc.). Dans de nombreux secteurs d’activité et de revendications sociales, des décisions douloureuses et courageuses s’imposent que seuls des grands hommes sont capables de prendre au risque de devenir impopulaires ou d’être mis hors champ politique. Le cas de Schröder en Allemagne est toujours présent dans l’esprit des réformateurs.
Le discours de la gouvernabilité ne semble plus se contenter d’un apprentissage collectif (gouvernance), mais il doit inventer des pratiques pertinentes et adéquates ; car si on réduit la fonction de l’Etat à sa « gouvernance » on peut lui faire perdre son statut d’unique institution capable d’organiser la vie de la société et on remet en cause son caractère souverain.
C’est pourquoi le concept de gouvernementalité rend acte d’une situation d’action, de décision et de production de pratiques performantes, évolutives et adaptées.
Le terme « gouvernementalité » permet alors de scruter les pratiques politiques en cours dans toutes leurs dimensions, y compris idéologique. Il permet d’observer et d’interpeller l’art de gouverner et les pratiques qui s’en suivent. Tout en étant producteur de normes et de lois, le gouvernement devient un processus qui cherche à influer le comportement et à transformer les 3 situations. Il s’infiltre dans le social et la vie des citoyens, réduisant la frontière entre le politique et le non politique. Il renvoie à l’instauration d’une rationalité politique supérieure issue d’un modèle d’analyse basée sur les techniques de gouvernement, les actions à entreprendre et les pratiques qui constituent la matérialité tangible de l’Etat.
L’humanité se trouve aujourd’hui face à un examen critique de ses moyens de gouverner en vue d’apporter du renouveau aux pratiques usuelles pour en inventer d’autres à la mesure des enjeux socio-économiques et de la complexité des temps modernes. Les recettes du passé, les pratiques de planification, les modes de raisonnement, de gestion et de décision, appliqués jusqu’ici, ont perdu de leur efficacité. Nous avons l’impression qu’on a tout essayé ou presque, sans succès, et que tout reste à inventer ou à réinventer pratiquement dans tous les domaines : la finance, la fiscalité, l’urbanisme, la justice, l’éducation, la médiation, la décentralisation, la planification, la programmation, l’investissement, la santé, le tourisme, la culture, le dialogue social, la démocratie associative, la coordination, le partenariat, le terrorisme, l’immigration, les risques et les crise, et d’autres domaines encore, …
Si les utopies du 19e siècle étaient pleines de promesses de salut, d’égalitarisme, de salubrité et de sécurité, le 20eme et le 21e siècles ont énormément compliqué ces tâches et les crises ne cessent de se suivre et se poursuivre sous nos yeux. Nos gouvernants ne savent plus où se donner la tête et comment y procéder pour répondre aux urgences et aux pressions multiples auxquelles ils sont soumis, comme s’il était demandé à l’intelligence humaine de tout réinventer. Cela est d’autant plus vrai que certaines pratiques politiques, administratives, juridiques et financières ont conduit certains Etats à la banqueroute ou carrément à la désintégration (Grèce, Portugal, Espagne Lybie, Irak, Yémen, Syrie, etc.).
De ce fait, tous les Etats du monde sont invités à relever le défi du renouveau et de modernisation des pratiques de gouverner. L’art de gouverner exige aujourd’hui aussi bien l’amélioration des circuits fonctionnels du pouvoir que l’invention de nouvelles pratiques de gouvernement. Ceci met en relief toute l’importance de la question de la réforme et du réformisme. C’est un processus qui devient de plus en plus épineux et difficile en raison de la complexité des attentes, de l’imbrication des intérêts et des revendications multiformes des populations. Le compartimentage classique, droite-gauche, a perdu toute sa signification et sa légitimité ; le réformisme n’a pas de couleur politique ; il n’est ni de droite, ni de gauche, il est efficace ou ne l’est pas. Les voies du réformisme sont à réinventer. Elles dépendent de surcroît des réajustements profonds au niveau de la pratique politique et des facteurs déterminants liés à la compétence, à la maîtrise de la connaissance, à l’instauration d’un leadership supérieur, à la 4 libération de l’imagination, à l’audace politique et à la capacité des acteurs publics à comprendre et à transformer leur environnement immédiat. L’objectif étant de créer les conditions favorables d’un développement maitrisé et soutenable au service de l’humain, car le rôle de l’Etat en définitive n’est autre que d’assurer le bonheur de la cité et des humains. L’art de gouverner est celui qui sait rendre l’humain heureux ; cela nous renvoie naturellement à la réforme des pratiques de négociation, de représentation, d’écoute, d’anticipation, de communication, de mobilisation, de suivi et d’évaluation.
Ce colloque se veut être à la fois analytique et prospectif. Analytique pour évaluer les pratiques en cours et leurs effets sur le changement. Prospectif pour réfléchir sur de nouveaux instruments ou de nouveaux leviers pour réformer l’action publique et mettre en œuvre les fondements assurés d’un changement durable aux résultats positifs et tangibles. Il faut donc être très attentif aux changements qui affectent le monde et avoir le regard fixé sur l’avenir.
« Changer, disait Michel Crozier, c’est juger le passé et choisir pour l’avenir ».
Encore faut-il que la gouvernementalité soit entre les mains de « pilotes éclairés » et une société réceptive au changement.
Je serai très heureux de vous inviter à prendre part à ce colloque par une intervention de votre choix ou à partir des points suggérés dans les axes que vous trouverez en annexe à titre indicatif.
Tout en vous priant d’assurer une large diffusion de cet appel à communication autour de vous ou auprès des personnes ressources, reconnues et qualifiées, que vous connaissez, je ne manquerai pas de vous tenir informé des préparatifs de ce colloque et de son déroulement, et vous prie de croire, mes cher(e)s collègues, mes cher(e)s ami(e)s, à l’expression de mes salutations les meilleures.
Ali SEDJARI
Président du GRET
Titulaire de la Chaire UNESCO des Droits de l’Homme